Neige

    N° 1211 - Neige

    Catégorie : Intempérie

Traineau qui glisse sur une nuit étoilée, filant dans un ciel clair azur, là où seules les rennes volent…

Aussi étrange que le prince Jack amoureux de sa renne. Écumant les bars à se demander pourquoi. Quand le cœur est noir,  que le buvard des comptoirs bois les rêves des matins d’éveils, il se met à penser, couché, tout auprès d’elle, lui caressant les cheveux et le sein doux. Mais Jack est définitivement noir et ne connaît pas la couleur. Emprisonné sans vraiment le vouloir dans un monde sans miroir. Habillé d’un  rideau rayé de cœur, le prince du monde sombre ne comprend pas l’amour. Anges kidnappés, saints interrogés, fées, muses et autres querelles, il ne resta plus que le père Noël, bien rouge et bienheureux, à qui Jack pouvait soudoyer quelques minutes de bonheur.
A celui dont le bonheur est de vivre toute l'année dans un monde à se peler les miches, sur un pôle en iceberg, non loin du ciel entre la terre et la lune. Dans un pays étoilé plein de nuages neigeux, plus haut que nos alpages, d'un Tibet libre ou d'une couette de cheveux. Au milieu de ce décor lunaire, prairies des rennes qui gambadent, qui volent et qui mangent de la glace en buvant du lait aux raisins chauds, vit dans une grande maison de cabanes en bois, le palais du roi rondouillard, plaisant et bon vivant qui adore les enfants. C’est une nourrisse, c’est un grand père, c’est un sage gros barbu qu’on sort pour les grandes messes, le papy d’Heidi dans récré A2. Il est cool et sympa, fume un petit peu, adore manger des repas copieux d'oranges et de pommes de terre marinées d'une viande bien huilée, somptueuse. Il ne lésigne pas sur les rougettes liqueurs qui illuminent son nez de trompette comme un phare de balisage lors des moments de tempêtes ou d'autres rentrées d' escortes plus tardives, à gueuler sans sombrer les plus saugrenues des chansons paillardes ou les farandoles en tutu des contes des Grimm sans queue ni tête, sur le toit des maisons.
A s’y méprendre, ce bienheureux père boursifflard, ce poète à l’âme en goguette habillé de rouge qui pète, à qui le mieux d’être sage, gère scrupuleusement sa petite entreprise d'usines d’exportations annuelles de friandises et de cadeaux pour enfants. Avec ses compagnons, les petits lutins verts, communistes et fraternels, il assemble les colis des commandes de sa liste aux amendes dans son unique traineau transit, trafic, master, transat de 16 mètres cube tiré par 12 rennes sans chevaux. Assis près du feu, Il relit les prénoms pour qui l’année a été sage, afin qu’il puisse les récompenser en son tour de magie de passage, le vulgaire pied de sapin en une montagne de trésors en cadeaux. Cet expert passe muraille a élaboré des fiches portraitiques très précises des anges, gamins adorables, bulletins d’année magnifiée des vies de marmots. Plus fidèles que les renseignements généraux, la CIA, le CNRS, la Mafia, et autres collabos d'agents très spéciaux. Le père Noël connaît ta famille, tes parents, ta maman. Il a des oreilles sur tous les murs. Il entend tout et il voit tout. Il ferait même peur, ce drôle de facteur de bonheur et Jack se dit bien de s'en méfier. Voisin, ami, compère Fouettard, celui qui tend à défaut la peau des garnements n’habite pas loin. Long barbu de maigriture, il n’aime pas les enfants. Il connaît bien Jack et Jack y alla.
Dans le monde des deux compères, Dutronc n’avait pas déconné. Depuis, Jean Balthazar s'était bien fait la belle, dans les îles, avec elle, sous les palmiers. Loin d'une gelure ou d'un ongle incarné, ils vivaient un tout autre bonheur qu'une clémentine épluchée près d'un frêle sapin piqué. Le vieux gâteux n’étant, depuis, plus bon au vaillant souple en jambe de descente de conduites en-cheminées. Retraité des fables et des vieilles histoires, le devenu nouvel actionnaire d'affaires retiré, tape désormais du carton avec son coquin, l'autre père, dans un hospice en caleçon. Personne avait repris les rennes magiques de Noël hors-mis une industrie de fer qui, de gâter ou de fouetter, ne servira plus comme autant d'incidences commerciales d'usines générales à brasser des jouets en plaisirs de gavages. Jack comprend alors que le bonheur du père noël qui existe n' est qu' une machine de rêve qu'on donne en soupe aux riches petits cons. Un trompe l’œil pour se faire enfiler gentiment. Un petit jésus nu en plastique dans une bulle de savon. Jack retournant de cette petite île maudite, comprit alors que, finalement, pour trouver le bonheur, il fallait faire soit-même ses cadeaux ou se flageller doucement… Il fit des cadeaux.

S'b. (2011)