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        goramy logoesprit-copie-1N° 514 - Train

        Catégorie : TransportsMicrophone


    Est-ce que finalement nous ne nous serions pas tous trompés ?

    A ne pas vouloir monter la première marche à deux centimètres d’un train corail d’une autre baie, nous-nous étions éloignés sur des rails d’une voie bien plus alambiquée.

    Torrent fluide comme une cascade sur la tête torride, douche froide, frais comme des gardons dans de l’eau glacée d’un matin bien calme, réveillés, les yeux bien ouverts, tous, nous attendions. "Je suis bien installé dans la queue du train qui s’écrasera contre le mur de béton", me disais-je. "Si je saute, je me tue. Si je reste ils me tueront", lui disais-je, assis, à côté d'elle : Classe 456 723 - Voiture 1567 998 76 - Place assise numéro 1769 723 71 - Fenêtre - Non fumeur. Sous le claquement des roues d’acier qui sautent sur les rails, nous étions tous assis là, à attendre. Pas une personne debout, pas un poing levé, pas une revendication, pas de cris, pas de pneus qui crissent, pas un vers de la main de travers dans des discussions purement spirituelles, culturelles, intellectuelles, savantes ou philosophiques de tous mes voisins en place assises, dans un fond de musique jouée par un orchestre philharmonique de campagne enregistré.

    "Est-ce que finalement nous ne nous serions pas tous trompés" dit l’un d’eux, l’effronté, qui un jour, eu le culot de se mettre debout. Les yeux hagards nous le regardions tous. Depuis que nous étions là, à attendre, nous n’avions jamais vu un homme se dresser ainsi. Personne n’avait osé ou personne ne pensait que ce fût juste possible. Dans les wagons qui nous emmènent, toutes les indications stipulent bien scrupuleusement à côté d’un petit lapin qui se pince, qu’il ne faut surtout pas se tenir debout sous peine que tout le train déraille et que personne ne pourra arriver au bout. Le train bougea, les wagons tremblèrent. Il se pencha vers sa partenaire : Classe 456 726 - Voiture 1567 998 76 - Place assise numéro 0791 229 34 -  Fenêtre - Non Fumeur - et le wagon bascula... "Tu es fou !" crièrent les autres. "Tu vas tous nous tuer !!!". Allant vers eux :"De peur ?", répondit-il. "Je suis encore debout et le train ne déraille pas... Je peux vous dire même qu'il vole». «Voler le train ?» demanda l’un d’eux. "Et tous ceux qui sont à l’intérieur" répliqua-t-il. "Il y a ceux qui sont assis, les autres qui sont debout. Ceux qui volent et ceux qui les font voler". "D’ici", leur dit-il, "je vois par la fenêtre que nous ne déraillerons pas. Les voies sont collées à nos roues et avec la vitesse centrifuge à laquelle nous allons, il est impossible de tomber". Nous basculâmes tous du côté des fenêtres pour regarder ce qu'il avait vu. Le train fit un tour sur lui-même mais ne dérailla pas. "Aurais-tu raison ?" demanda un autre. "Devons-nous, nous aussi, nous mettre debout ?". "Rien ne t’en empêche apparemment. Tu peux bouger, danser, tendre les bras, tu peux enfin voyager dans ce train qui nous emmène au bout du bout du doigt. Si tu es courageux, tu peux même t’en aller traverser toutes les rames, réveiller toutes les autres âmes pour faire basculer ce train qui va bien finir un jour par s' empaler. Si tu le veux, tu peux même t’en aller jusqu’à la locomotive pour réveiller les chauffeurs inutiles et tous ceux qui les motivent pour les avertir qu’il est grand temps que ce train bouge. Arrivé là-bas, tu pourras même, si tu le désires, nous conduire à ton tour, meneur, pirate ou capitaine déviant, dans un autre endroit dans le mur. A vouloir s’écraser en fin, il n’y aura pas "d’amurissage" plus doux, de forts à faibles cadences, de gauche à droite, à l’envers comme à l’endroit, à l’arrière comme à l’avant, que de chaos sans incidences anarchiques, brutales et frontales, tu vois" - les échos - Je regarde s’amuser mes enfants,  devant, sur la pelouse et je repense à ce trajet tracé jusque-là.

    Je tire le store, embrasse ma femme. Ce soir c’est soirée barbecue. On a invité les voisins et ma sœur doit passer parce que c'est sur sa route. Je tourne les saucisses, me rappel que je ne dois pas oublier d'aller voter demain en écoutant la radio qui passe «Aux armes et cætera» de Serge Gainsbourg. Wagon-bar, wagon-restaurant, wagon-lit sans numéro - Sans classe - Places non attribuées - Couloirs et Fenêtres de tous les côtés - Fumées. Debout, assis, couché, je me rappelle de tous ces wagons traversés de rencontres, de discussions, d’idées et d’idéologies qui n’ont jamais arrêté de tourner et de tomber dans l’oubli sans qu'elles ne puissent pour autant toutes me quitter. Toutes ces rencontres qui m’ont emmené dans ce drôle de voyage qui nous a fait que de nous tourner et de nous torpiller dans ces trames sans arrêter ce train effréné bien plus près à s’écraser que de s'arrêter en pleine rage arienne, sans peine qu' un rat mort puisse nous guider. Plongé dans ces tumultueux souvenirs rocambolesques aussi affreux, en agitant les braises sous la grille, Je finis par me demander, si finalement, en choisissant les saucisses les plus cuites, ils ne s'étaient pas tous trompés.

    S'b. (2014)

     

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