• La Cuisine

        goramy logoesprit-copie-1N° 1114 - La Cuisine

        Catégorie : MaisonMicrophone


     (N.b. Ce texte est la suite du texte "Famille - Catégorie : Généalogie")

    CuisineC’est vrai que le lendemain matin je ne me suis pas vraiment levée tôt...

    C’est vrai que le lendemain matin je ne me suis pas vraiment levée tôt. La lumière avait réussi à percer les persiennes et à soulever mes paupières au fur et à mesure que le soleil se levait. À peine réveillée et mise debout, je déambulais et titubais dans le couloir. Je ne savais pas si mon oncle était réveillé, ce qui était sûr, c’est qu’après la pause-pipi, c’était l’heure du petit-déjeuner. Arrivée à la cuisine, la table était dressée devant la fenêtre grande ouverte aérant la bonne odeur d’un bon chocolat chaud bouillonnant sur la gazinnière. Posé sur la table de jardin en fer forgé au milieu de la cuisine, à côté d'un bol breton avec mon prénom, un chien en jouet de réclame en plastique réclamait sans cesse avec une voix de robot : « Il est 4 heures - Tu veux un "Croc-Chiot"? » - « Il est 4 heures - Tu veux un "Croc-Chiot"? » - Clic - Au secours, merci mon Dieu, j’ai réussi à l’éteindre. Quelle agression dès le matin et quelle drôle d’idée d’avoir posé ce machin-là ignoble sur la table. Mon oncle arriva aussitôt à grande vitesse. Il devait être réveillé de très bonne heure car il était d’une énergie débordante, voire électrique. Il me salua dans ses grands gestes en n’arrêtant pas de parler : «Bonjour Amélie ! Ça va ma nièce ! Ma chère nièce ! Tu sais que je ne t’avais pas revue depuis au moins dix ans. Tu as bien changé, mais toujours aussi mignonne. Qu’est-ce qu’il fait beau ce matin ! C’est trop bien ! Ça donne du baume au cœur ! J’espère que tu as bien dormi, je ne t’ai pas réveillée au moins, on dort bien dans cette chambre, j’aime y faire la sieste les après-midis. Mais c’est ta chambre, tu y fais ce que tu veux. Tu es bien installée j’espère. Tu as vu, il y a un petit Cuisinelavabo, mais c’est mieux pour se laver d’aller dans la salle de bains, c’est plus pratique. C’est juste un rince-mains qui a été foutu là, je ne sais pas pourquoi ? Ça devait être les chiottes pendant la guerre ou un plombier zélé qui, ayant trop bu, l’a installé là ? La maison est très ancienne. 1876. Tu te rends compte ! Elle a plus d’un siècle, cent-trente-huit ans pour être exact ! Au moins 6 générations de personnes sont venu habiter là. Au début, c’était des notables, mais plus tard ils ont divisé l’immeuble en appartements. Tu te rends compte, la grande maison que c’était. Elle a vécu les deux guerres, la construction de la tour Eiffel, l’apparition de l’automobile et que sais-je encore ! Elle a été épargnée par les bombardements de 1944, alors qu’ils ont trouvé une bombe devant la rue hier. Tu as vu le chantier. Ils n’ont pas fait de bruit ce matin, mais hier, tu aurais dû voir le bordel. Des marteaux-piqueurs, des sirènes, un bazar, ma pauvre. Ils voulaient que je quitte l’immeuble. Soixante-dix ans qu’elle était là, tout pouvait péter, c’était prédestiné ou pas. CuisineEn 40 je n’étais pas né, alors je suis resté là. Ils m’ont demandé de coller des bouts de sparadrap sur les vitres. Il faut coller des bouts de sparadrap sur les vitres quand une bombe explose. Ce sont les pompiers qui l’on dit. C’est vrai, que si les fenêtres pètent, c’est plus facile comme ça de retrouver les morceaux si on veut les recoller. Par contre, ce ne sont pas les pompiers qui sont venus les enlever ce matin, j’ai bien eu raison de m’arrêter seulement à la première fenêtre de ma chambre. Enfin, bon. Bref, je parle, je parle, tu t’es servie ? Tu te sers, fais-toi plaisir. Tu as du choix : confiture, croissants, pains au chocolat, baguette tout est frais de ce matin. Je suis passé chez le boulanger après m’être levé, quelle bonne odeur quand tu vas chez le boulanger le matin. En plus ce matin, il faisait beau, c’était encore plus agréable quand il fait beau.» Il me regarda une dernière fois pour voir si j’étais bien installée avant de tendre les bras au plafond et de reprendre : « il fait beau ! C’est l’été ! C’est chouette ! » Il fit un tour sur lui-même pour se mettre face à la porte et disparut comme un soldat mécanique qui rompait. Disparu. Plus un bruit. Un bouton off après dix minutes de débits de conneries. J’ai eu peur qu’il s’incruste. Ah, que j’aime les matins calmes. C’est vrai, il fait beau. Le ciel est d’un bleu azur, les oiseaux ne Cuisines’y trompent pas quand on les entend chanter dehors parmi les quelques petits coups de klaxons de gens perturbés ou perturbateurs qui sont nés pour faire chier. Le soleil arrose mon bol et fond le beurre de mes tartines que j’étale tranquillement. Je repensais à tout ce que venait de me raconter mon oncle. Comment, en un instant, il avait agité toute la cuisine et comment, d’un seul coup, elle revivait le calme apaisant. Pas un bruit, pas un son, le silence total comme si j’étais seul dans ce grand appartement. Que faisait mon oncle ? Le chien en plastique continuait de me regarder comme s’il voulait que je le remette sur « on » pour me demander encore si je voulais un « Croc-Chiot », mais c’est la pendule du salon qui sonna jouant la mélodie du carillon de Westminster de onze heures. Mon oncle réapparut à la porte de la cuisine. Habillé en lord anglais avec un costume noir et un beau chapeau melon sur le haut de sa tête, tenant une belle serviette en cuir et une belle canne noire. « Chère amie, je sors, me dit-il avec une voix très distinguée. Je vous laisse terminer votre petit-déjeuner tranquillement, je reviendrai tout à l’heure ». «Votre toilette est prête dans la salle de bains». « Je serai de retour pour midi trente, à l’heure du déjeuner. J’espère que vous serez des nôtres ». Il fit demi-tour aussi droit que tout à l’heure et il s’en alla en grandes enjambées dans le couloir. Il claqua la porte, donna deux tours de clé et descendit les escaliers…

    (A suivre  :  Déjeuner - Catégorie : Restauration)

    CuisineS'b. (2014)

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