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Jeu du foulard
Le plan était clair et nous savions, à la seconde près, ce que nous devions faire, dès que la cloche de l'église allait sonner...
Chacun était à son poste, chacun observant l'autre, chacun prêt à entrer en action. Le visage fermé nous nous remémorions incessamment tout le dérouler que nous avions préparé dans le hangar de chez Smith d'en face. Comme des acteurs de théâtre prêts à passer en scène, nous attendions derrière le rideau avec la peur au ventre, le trac éternel, et aussi avec cette soif inaltérable d'adrénaline. Dans un court instant, le rideau sera tiré et nous rentrerons en scène pour jouer la plus belle des pièces jamais écrites ou pour tomber dans le pire fiasco, scénario catastrophe, que la presse aura, sans cesse, la délicatesse de relayer dans ses papiers.Sur la rue principale, Srï le Révolté faisait le guet. La mission serait annulée si par mégarde une patrouille allemande, le shérif Castan ou un de ces adjoints pré-faits avaient la malencontreuse idée de passer par là au mauvais moment. Je faisais confiance à Srï le Révolté pour repérer les condés à des kilomètres à la ronde. Il n'arrivait pas à sentir ces gars-là tellement leur odeur l'incommodait. Avec un odorat aussi sensible, si le vent était dans le bon sens, il était possible pour lui de prévoir leur arrivée une à deux heures à l'avance, ce qui nous permettait souvent de nous mettre à l’abri avec beaucoup d'assurance. Malheureusement, je savais également que Srï le Révolté avait, dès qu'il les voyait, la gâchette facile . Au lieu de nous avertir, il était capable de tirer dans le tas et faire tourner notre plan propre et bien ficelé en un horrible carnage sanguinolent. Heureusement, pour m'assurer que les cognes ne passeraient pas, j'avais misé aussi sur le charme et surtout sur l'imagination des deux reines de la bande. Le temps du braquage, la féline Cé la Cible et la fameuse Barberousse la Odette seraient largement capables de distraire les hommes étoilés dans leur caserne et nous laisser tout le temps nécessaire pour que nous puissions passer à l'action en toute tranquillité. Pour verrouiller le tout, j'avais même demandé à Sam, dit Le Pirate, d'assurer le plan d'occupation. Ce grand orateur était capable de contenir un saloon entier en racontant bon nombre de ses aventures et de récits rocambolesques. Je savais qu'il allait parfaitement s'appliquer jusqu'à prendre de l'avance sur le timing que je lui avais indiqué. Depuis hier soir il était dans la cellule de dégrisement. Je pensais déjà aux têtes des pauvres agents malheureux qui devaient le supporter depuis ce matin à son réveil. En plus des deux folles, en train de se crêper le chignon pour l'histoire d'une passe mal passée, j'étais sûre que les gardiens de l'ordre étaient bien occupés. J'avais mis la gomme de ce côté-là, c'est vrai. Mâchouillant mon cigare, je voulais un plan sans accroc. Le casse propre et parfait. Pas une goutte de sang versée, pas une balle de barillet tirée et surtout, pas une flicaille tuée. Toutes ces précautions nous éviteraient par la suite une fuite incessante devant tous les marshalls bleus marine et toutes les putes collaboratrices fascistes chasseuses de primes qui, bandant, rêvaient de nous faire pendre.9h57. Planqué derrière la grange avec la charrette et nos montures, Macareux, dit le Kid, attendait nerveusement le moment venu. C'est lui qui allait couvrir notre fuite en venant nous récupérer par la porte de derrière. Comme pour les chevaux, l'attente pour lui était longue. L'anxiété se transmettait du garçon aux bêtes. Ils avaient du mal à se calmer. Le Kid, crispé sur les rênes tirait sur les harnais, pendant que les montures tapaient du sabot au sol et hennissaient d'impatience. De loin, il observait les autres bien planqués derrière la porte de derrière : Arcamayo le Haut Couteau et Djébah. B. la Gâchette Futée. Je pouvais toujours compter sur ce duo de choc. Ils m'accompagnaient depuis fort longtemps... Depuis les premiers coups à Tuscon. Nous nous connaissions parfaitement bien, ce qui est idéal dans une bande pour être parfaitement coordonnés. Plus besoins de parler, un regard, un geste suffit pour se faire comprendre et être efficace. Ils attendaient, là, patiemment, en toute confiance, pour qu'on vienne les chercher. La cloche de l'église sonna, Djébah. B. regarda une dernière fois sa montre à gousset, la rangea, mit son foulard sur son nez avant d'être imité par son acolyte... 10h00, fin du carillon, on y était.